La Dispute - Scène 12

MESRIN, CARISE, ADINE.

ADINE appelle.
Mesrin !

MESRIN, accourant
Quoi ! c’est vous, c’est mon Adine qui est revenue ! que j’ai de joie ! que j’étais impatient !

ADINE.
Eh ! non, remettez votre joie ; je ne suis pas revenue, je m’en retourne ; ce n’est que par hasard que je suis ici.

MESRIN.
Il fallait donc y être avec moi par hasard.

ADINE.
Écoutez, écoutez ce qui vient de m’arriver.

CARISE.
Abrégez, car j’ai autre chose à faire.

ADINE.
J’ai fait. (À Mesrin.) Je suis belle, n’est-ce pas ?

MESRIN.
Belle ! si vous êtes belle ?

ADINE.
Il n’hésite pas, lui ; il dit ce qu’il voit.

MESRIN.
Si vous êtes divine, la beauté même ?

ADINE.
Eh ! oui, je n’en doute pas ; et cependant vous, Carise et moi, nous nous trompons ; je suis laide.

MESRIN.
Mon Adine !

ADINE.
Elle-même ; en vous quittant, j’ai trouvé une nouvelle personne qui est d’un autre monde, et qui, au lieu d’être étonnée de moi, d’être transportée comme vous l’êtes et comme elle devrait l’être, voulait au contraire que je fusse charmée d’elle, et, sur le refus que j’en ai fait, m’a accusée d’être laide.

MESRIN.
Vous me mettez d’une colère !

ADINE.
M’a soutenu que vous me quitteriez quand vous l’auriez vue.

CARISE.
C’est qu’elle était fâchée.

MESRIN.
Mais, est-ce bien une personne ?

ADINE.
Elle dit que oui, et elle en paraît une, à peu près.

CARISE.
C’en est une aussi.

ADINE.
Elle reviendra sans doute, et je veux absolument que vous la méprisiez ; quand vous la trouverez, je veux qu’elle vous fasse peur.

MESRIN.
Elle doit être horrible ?

ADINE.
Elle s’appelle… Attendez, elle s’appelle…

CARISE.
Églé.

ADINE.
Oui, c’est une Églé. Voici à présent comment elle est faite ; c’est un visage fâché, renfrogné, qui n’est pas noir comme celui de Carise, qui n’est pas blanc comme le mien non plus ; c’est une couleur qu’on ne peut pas bien dire.

MESRIN.
Et qui ne plaît pas ?

ADINE.
Oh ! point du tout, couleur indifférente ; elle a des yeux, comment vous dirai-je ? des yeux qui ne font pas plaisir, qui regardent, voilà tout ; une bouche ni grande ni petite, une bouche qui lui sert à parler ; une figure toute droite, toute droite, et qui serait pourtant à peu près comme la nôtre, si elle était bien faite ; elle a des mains qui vont et qui viennent, des doigts longs et maigres, je pense, avec une voix rude et aigre ; oh ! vous la reconnaîtrez bien.

MESRIN.
Il me semble que je la vois. Laissez-moi faire ; il faut la renvoyer dans un autre monde, après que je l’aurai bien mortifiée.

ADINE.
Bien humiliée, bien désolée.

MESRIN.
Et bien moquée ; oh ! ne vous embarrassez pas, et donnez-moi cette main.

ADINE.
Eh ! prenez-la, c’est pour vous que je l’ai.

(Mesrin baise sa main.)

CARISE, en lui ôtant la main.
Allons, tout est dit, partons.

ADINE.
Quand il aura achevé de baiser ma main.

CARISE.
Laissez-la donc, Mesrin ; je suis pressée.

ADINE.
Adieu, tout ce que j’aime ! Je ne serai pas longtemps ; songez à ma vengeance.

MESRIN.
Adieu, tout mon charme ! Je suis furieux.

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